De la position des adjectifs

Par Nicolas Gambardella

Il faut toujours mettre l’adjectif au plus près du nom qu’il qualifie. Cela semble évident, n’est-ce pas ? Et pourtant, ce n’est pas un réflexe, surtout dans les textes techniques qui ont tendance à utiliser une syntaxe anglo-saxone. Pourtant, la position de l’adjectif n’est pas neutre, et est au contraire essentielle pour la bonne compréhension du texte et son utilisation ultérieure.

Prenons l’exemple d’un test de grossesse se basant sur la mesure de l’hormone de croissance dans les urines. Faut-il écrire un « test urinaire de grossesse » ou bien un « test de grossesse urinaire » ? Le premier bien sûr, car c’est le test qui est urinaire, pas la grossesse. Au pluriel, il n’y a pas de problème. Dans « tests de grossesse urinaires » les S nous révèlent le lien entre le test et la substance testée. La situation est plus complexe au singulier. Un être humain n’aura bien entendu aucun mal à comprendre qu’une grossesse ne peut être urinaire (du moins on l’espère). En revanche, les systèmes d’analyse lexicale automatique (et un peu simplets, il faut bien le reconnaître) découperont l’expression en

[ TEST ] [ DE ] [ [ GROSSESSE ] [ URINAIRE ] ]

En revanche, un « test de grossesse extra-utérine » teste la localisation extra-utérine (ectopique) de la grossesse. Ici, la grossesse est extra-utérine, pas le test.

Tout cela paraît bien logique. Qu’en est-il en réalité ? Malheureusement, notre ami Google retourne 7970 réponses pour l’infortuné « test de grossesse urinaire » contre seulement 3310 réponses pour « test urinaire de grossesse » (encore que Google Trends donne la première forme gagnante sur le long terme). Le domaine académique fait un peu mieux, Google Scholar retournant 77 entrées pour « test urinaire de grossesse » contre 71 pour « test de grossesse urinaire » Mais il y a pire puisqu’on retrouve cette dernière forme dans des textes de référence comme LE Vidal, voire même des documents de la Haute Autorité de Santé.

Voyons maintenant un exemple plus compliqué, le « rapport normalisé international », traduction de l’anglais « international normalized ratio ». Est-ce vraiment « rapport normalisé international » pour qui Google nous donne 6610 réponses et Google Scholar 99 entrées, ou bien « rapport international normalisé » pour qui Google nous donne 15300 réponses et Google Scholar 234 entrées ? C’est le premier. Cette variable mesure le rapport entre le temps de coagulation chez un patient (le « temps de Quick ») et sa valeur chez un témoin. C’est en cela qu’elle est « normalisée ». Cette mesure étant reconnue internationalement, c’est le « rapport normalisé international ».

Pourquoi la situation est-elle plus compliquée qu’avec le test urinaire de grossesse ? Le mot clé est « normalisé ». Alors que la version anglaise n’est pas ambiguë, elle l’est en français, où l’adjectif « normalisé » est la traduction à la fois de « normalized », c’est-dire une valeur ramenée à l’échelle, et de « standardized », c’est-dire une valeur reconnue officiellement comme une norme. Dès lors, le « rapport international normalisé » pourrait avoir une toute autre signification, qui serait la version « standard » du « rapport international ». Je ne serais du reste pas surpris qu’une grande partie des positionnements malheureux trouvent leur origine dans cette confusion.

En conclusion, toujours placer l’adjectif au plus près du nom ou de l’expression qu’il qualifie. Et si vous traduisez un texte de l’anglais au français, n’hésitez pas à modifier l’ordre d’un enchaînement d’adjectifs en passant d’une langue à l’autre. Enfin, si vous avez le moindre doute, recherchez la signification de l’expression.

Pour traduire, il faut comprendre.

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